André Joyeux
Présentation par l’éditeur De quoi est-il question dans cet ouvrage ? De conjugalité et de parentalité essentiellement, autrement dit d’un fait de société qui se présente à la fois comme un problème social, c’est-à-dire collectif, et aussi comme un problème psychologique, c’est-à-dire individuel. L’onde est puissante et elle atteint la quasi-totalité des relations humaines, touchant aussi bien les liens traditionnels intergénérationnels que le joyau de la modernité européenne qu’est l’individu. Installée désormais au cœur de la crise moderne qui secoue le monde, elle participe de presque tous les enjeux contemporains comme, par exemple, celui de la crise du logement pour ne citer qu’elle. Il n’est plus possible aujourd’hui de considérer ces questions comme les simples résultantes des conditions de vie moderne. Ce problème devient petit à petit un véritable paradigme. Disons le d’entrée, notre propos n’est pas de prendre parti pour une quelconque solution mais de prendre le débat à la hauteur de son importance. Deux remarques pour commencer. 1/ En règle générale les auteurs qui traitent de ces questions ont séparé conjugalité et parentalité et lorsqu’ils ne le font pas le débat est souvent confondu avec des considérations morales qui faussent les approches. De toutes les façons, les débats sont tronqués dès lors qu’ils sombrent dans une opposition entre tradition et modernité, la première se réfugiant derrière un monde quelque peu abscond et qui en la matière n’a tout de même pas fait preuve d’une grande ouverture; la seconde se prévalant de ressentis et d’analyses qui sont bien trop soumis aux modes et à la réalité du marché pour nous convaincre de leur clairvoyance et de leur intérêt. Il y a un impensé dans cette question et cet impensé a pour nom les questions de la filiation. Les enfants qui sont systématiquement présentés comme devant être les bénéficiaires de ces réflexions n’y sont jamais des acteurs à part entière. 2/ Pour débattre de ce sujet, il est indispensable de repérer les références utilisées régulièrement. Quelles sont les idées dominantes aujourd’hui qui organisent la parentalité et la conjugalité, autrement dit la vie de famille ? a) l’idée scientifique qu’une famille c’est d’abord une famille génétique b) l’idée juridique qu’une famille c’est d’abord un ensemble contrat administratif qui crée un système d’obligation c) l’idée psychologique qu’une famille c’est d’abord un magma d’affects que la réalité organise Il n’est évidemment pas question de ne pas reconnaître la validité de ces savoirs constitués épistémologiquement, mais nous tenons à les comprendre dans leurs limites et dans leur relativité et à ne pas les laisser devenir des signes maîtres qui régissent l’être humain dans sa globalité. Dans chacun de ces trois exemples, la personne se range sous la bannière d’un savoir qui lui est originairement extérieur et qui décide pour lui. Contrairement à la plupart des travaux parus ces dernières années, dans ce livre parentalité et conjugalité restent associées dans les difficultés comme dans les avantages. Position très traditionnelle me direz-vous et j’en conviens, mais pas là où vous le pensez, c’est-à-dire sur une position morale. C’est surtout qu’il n’y a pas dans l’approche de ce livre ce morcellement de l’être humain tellement indispensable aux sciences exactes pour progresser et si souvent néfaste parce que réducteur lorsqu’une discipline des sciences dites humaines impose son angle et son point de vue comme la vision essentielle. À l’opposé, dans cet ouvrage, l’être humain n’y est pas abordé par les bouts de savoir qui le morcelle en autant de catégories objectales (scientifique, juridique, psychologique) qui participent grandement à la crise de notre époque, mais il y est conçu comme une entité globale. Qu’est-ce donc qui constitue le sujet humain comme un être à part entière ? La question est simple à énoncer et si difficile à tenir. C’est la prise d’engagement, qui ne renie en rien d’ailleurs aucun des savoirs constitués, mais qui tient lieu de connaissance de soi et des autres. Chacun se connaissant par les engagements pris et tenus. Ici la connaissance est radicalement différente des savoirs puisqu’elles ne découvrent pas le réel à l’extérieur de l‘homme ou même le réel préexistant dans l’homme, mais elle crée un réel, nouveau donc, qui répond d’un acte de liberté humaine s’il en est une – sa capacité créative. L’homme, comme le disait Bergson, est un effort créateur et la conjugalité lié à la parentalité nécessite un travail psychique qui s’appelle un travail de choix et de décisions ou, pour le dire autrement dans un langage plus récent, de deuil vis à vis de son propre narcissisme.